Dans le monde de la psychologie et de la thérapie, la théorie de l’attachement semble aujourd’hui faire consensus. Elle est partout : dans les livres pour parents, dans les formations pour cliniciens, dans les diagnostics, les pratiques éducatives, les dispositifs de protection de l’enfance.
Elle est devenue, en quelque sorte, un langage commun.

Mais derrière cette apparente unité, un clivage majeur persiste — et il est rarement nommé.
Car ce que peu de professionnels savent, c’est que la théorie de l’attachement n’est pas unifiée. Il existe au moins deux modèles majeurs, deux visions théoriques qui s’affrontent en silence, souvent sans même que leurs lignes de faille soient explicitées :
– Le modèle ABC+D de Mary Main, le plus connu,
– Et le modèle DMM (Dynamic Maturational Model) de Patricia Crittenden, encore largement méconnu, notamment dans les pays francophones.

Ces deux modèles ne se distinguent pas simplement par leurs nuances : ils reposent sur des postulats profondément différents quant au développement, à la psychopathologie, à la manière dont l’attachement s’exprime — et donc, à la manière dont on accompagne les patients.

Alors comment comprendre l’attachement en pratique clinique ?
Peut-on vraiment penser qu’un seul modèle suffit à saisir l’expérience de tous les individus, dans tous les contextes ?
Et que se passe-t-il quand ces modèles ne se parlent pas — ou se contredisent ?

Dans cet article, je vous propose de situer dans leur logique propre, de présenter brièvement leurs points de divergence fondamentaux.

POINT 1: L’Expansion de la Classification d’Ainsworth

Ainsworth a développé le protocole de la situation étrange et identifié les patterns ABC d’attachement infantile (sécurisé, anxieux évitant et anxieux ambivalent).

Ses étudiantes, Mary Main et Patricia Crittenden, ont pris la suite de ses travaux et ont observé des comportements qui ne correspondaient pas à ces patterns, et ont chacune élargi le système classificatoire d’Ainsworth.

Crittenden, systématicienne de formation et clinicienne en activité au moment de sa thèse avec Mary Ainsworth, a ajouté une catégorie A/C et a développé des sous-catégories reflétant les discussions de Bowlby sur les enfants compulsifs (sur-adaptés) et coercitifs (contrôlants).

Le modèle DMM a évolué pour inclure des stratégies « auto-protectrices » adaptées aux circonstances familiales.

Ainsi, Patricia Crittenden rejette la notion d’attachement désorganisé et conceptualise un ensemble de sous-stratégies d’attachement insécure qui se complexifient au cours du développement de l’enfant mais qui contribuent toujours à le protéger.

Main et Solomon, quant à elles, plus axées sur la recherche et sur la recherche sur des cohortes de population générale non clinique, ont ajouté une catégorie « D/désorganisée », axée sur les comportements infantiles indiquant une défaillance du système d’attachement. La catégorie D est encore mal comprise, et son application à des âges plus avancés reste floue.

POINT 2: Trois Différences Entre ABC+D et ABC+DMM

  • Les classifications sont conceptualisées différemment:

La notion de désorganisation est dérivée de l’observation de comportements spécifiques, bizarres chez l’enfant au cours de la situation étrange, et qui semblent montrer qu’il ne sait pas comment utiliser sa figure d’attachement comme base de sécurité.

Tandis que dans les catégories DMM, les stratégies compulsives et coercitives d’attachement insécure sont définies par la fonction adaptative et protectrice interpersonnelle du comportement de l’enfant pour obtenir les meilleurs soins possibles d’une figure d’attachement par ailleurs indisponible, préoccupée et/ou potentiellement dangereuse. Le postulat est que les parents ne sont pas toujours disponibles et réconfortants, et que l’enfant doit trouver le moyen de faire du mieux qu’il peut pour maintenir la relation la plus sécurisante possible avec le parent qu’il a et dans l’environnement qui est le sien. Il n’est donc pas désorganisé; s’il était désorganisé, il serait en danger.

  • L’approche de la relation enfant-parent:

La classification désorganisée à l’observation est codée uniquement à partir du comportement de l’enfant, tandis que les modèles DMM sont codés à partir des échanges entre l’enfant et la mère.

  • La compréhension de l’attachement:

La classification désorganisée est considérée comme un « échec », un dysfonctionnement du système d’attachement, tandis que le modèle DMM les considères comme des « stratégies » adaptatives fonctionnelles, même si ce n’est qu’à court terme.

Implications Cliniques

La différence entre ces deux modèles a des implications profondes pour la pratique clinique.

  • Approche Stratégique vs Désorganisation: Le DMM voit l’attachement comme une stratégie adaptative, même dans des environnements difficiles. Cela peut orienter le clinicien vers une approche centrée sur les ressources et la résolution de problèmes. L’ABC+D, en revanche, peut conduire à une focalisation sur la « désorganisation », ce qui peut nécessiter une approche thérapeutique différente qui, souvent, induit le dangereux glissement vers le diagnostic de trouble de l’attachement alors que les troubles de l’attachement sont une entité nosographique spécifique qui n’est pas directement en lien avec la désorganisation et que, par ailleurs, l’attachement insécure /désorganisé n’est pas un diagnostic de santé mentale.
  • Interaction Enfant-Parent: Le DMM, en se concentrant sur l’interaction enfant-parent, peut offrir des opportunités pour travailler avec la relation elle-même, plutôt qu’avec l’enfant isolément. Cela peut conduire à une thérapie plus intégrée et relationnelle.
  • Adaptation et Contexte: Le DMM met l’accent sur l’adaptation et le contexte, offrant une perspective plus nuancée de l’attachement. Cela peut aider les cliniciens à comprendre et à travailler avec des attachements insécures comme des adaptations plutôt que des dysfonctionnements, mais aussi d’envisager toutes les formes de parentalité et leur fonctionnement au regard du contexte culturel de leur évolution.

Conclusion

Les modèles DMM et ABC+D offrent des perspectives uniques sur l’attachement, chacune avec ses mérites et ses défis. En tant que cliniciens, il est essentiel de comprendre ces différences et de réfléchir à la manière dont elles influencent notre travail. la prise en charge de l’attachement n’est pas une question de réparation d’un système brisé, mais de compréhension, d’adaptation et de travail avec les systèmes existants pour promouvoir la santé et le bien-être.

Texte Mis à jour le 7 juin 2025 dans le cadre du projet A-T-L-A-S : un blog clinique pour explorer les liens qui façonnent l’humain.*
— Alexandra Deprez

Merci pour votre lecture

Merci d’avoir pris le temps de lire cet article.

Si vous avez une question, une réflexion ou une nuance à partager, n’hésitez pas à laisser un commentaire ou m’écrire : vos retours nourrissent mon travail.

Soutenir mon travail

Ce blog est indépendant, sans publicité, et il me demande beaucoup d’énergie pour vous offrir des contenus rigoureux, sensibles et utiles.

👉 Si vous souhaitez soutenir mon travail, vous pouvez m’offrir un café virtuel via Buy Me a Coffee : 💛 Me soutenir ici

Recevoir la newsletter

Je partage régulièrement des contenus inédits sur l’attachement, la parentalité, les dérives du développement personnel, ou encore le lien entre IA et humanité.

👉 Pour recevoir ces articles directement dans votre boîte mail, inscrivez vous ci dessous.

Recevez mes prochains articles, réflexions et ressources sur l’attachement directement par mail.

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité

Se former à la théorie de l’attachement

Vous êtes professionnel·le de la santé, du social ou de l’éducation ?

J’ai conçu une formation complète à la théorie de l’attachement, 100 % en ligne et interactive.