On pourrait croire que la réponse va de soi : bien sûr qu’un enfant a besoin de voir ses parents pour aller mieux. Et pourtant… Une méta-analyse récente ne montre aucun effet significatif des visites parentales sur la santé mentale des enfants placés. Ni bénéfique, ni délétère. Une absence de résultats qui interroge : la méthode quantitative serait-elle inadaptée à la complexité de ces situations ? Et que dit vraiment ce « non-résultat » quand on le regarde à travers le prisme clinique, développemental et relationnel — en particulier pour les bébés, si absents des données ?
Introduction
Publié récemment et disponible ici, l’article « Parent–child contact during placement and mental health: A meta-analysis » (Touati et al., 2025) est une méta-analyse rigoureuse qui cherche à clarifier les effets des visites parent-enfant sur la santé mentale des enfants placés, en s’appuyant sur 96 tailles d’effet issues de 20 études totalisant plus de 5 000 enfants et jeunes. dans cet article, je présente les principaux résultats et je les commente cliniquement pour les pratiques en protection de l’enfance.
Résultat principal
Ce que ce travail révèle, c’est qu’aucune association significative globale entre la fréquence ou la présence de contacts avec les parents biologiques et la santé mentale des enfants placés (r = .02, non significatif) ne peut être mise en évidence.
Cela signifie que, en moyenne, les visites ne sont ni systématiquement bénéfiques ni délétères. Cela veut dire aussi que parmi le groupe d’enfants étudiés dans ces différentes recherches, certains ont eu des bénéfices, d’autres non, et un troisième groupe n’a montré aucun effet. Cela signifie aussi que les statistiques ici ne sont pas très aidantes, car on ne dégage aucun effet pour plusieurs raisons :
- C’est une clinique complexe : le nombre de facteurs impliqués dans l’effet des visites parentales est important, et par conséquent, même quand il y a un effet, ce dernier est souvent faible, rarement très significatif.
- La réflexion sur le groupe tue l’information. En effet, les profils qui ne bénéficient pas des visites écrasent ceux des enfants qui en bénéficient, ce qui rend difficile l’identification d’effets au niveau du groupe. C’est comme si l’analyse statistique sur grands groupes (à moins d’avoir la puissance d’une cohorte) ne suffisait pas à faire ressortir les tendances.
Et donc, l’information issue de ce type de recherche est, d’une certaine manière, assez peu utile pour la clinique. D’ailleurs, cela rejoint des études récentes montrant que, dans les sciences humaines, les méthodes quantitatives ne sont peut-être pas aussi pertinentes qu’on le pense pour comprendre la complexité. Il faudrait peut-être revenir à des méthodes qualitatives (petits groupes, observation, études de cas) (Masaryk, & Stainton Rogers, 2024)
Bien sûr, l’effet est modulé par plusieurs facteurs importants :
La fréquences des visites fréquentes est associée à une meilleure santé mentale de l’enfant (r ≈ .13), notamment comparées aux visites mensuelles ou moins fréquentes (qui ont un effet proche de zéro, voire négatif). Mais ces résultats sont à nuancer :
Pour les enfants victimes de violences physiques
Ces derniers bénéficient moins des contacts avec leurs parents. Plus la proportion d’enfants ayant subi des violences physiques est élevée, plus l’effet des visites est faible (voire délétère).
C’est un point extrêmement important cliniquement : Il pose vraiment la question du maintien du lien en cas de violences physiques, mais il pose aussi la question de la prise en charge du lien dans ces familles.
Parce qu’en fait, la violence a peut-être fait trauma chez l’enfant et la visite réactive comme un déclencheur se trauma. Mais, de plus, la violence est peut-être aussi l’effet d’un trauma transgénérationnel qui se répète dans le lien parent enfant. Cela soulève la question de savoir s’il ne faudrait pas, pour maintenir le lien parent-enfant, en fait, d’abord soigner tout ces traumas? parce que sinon, on ne solutionne jamais le problème sous jacente à la difficulté relationnelle, elle même réactivée par le placement qui n’est plus alors, d’une certaine manière, plus mesure de protection.
Cela suggère des approches de soin bien plus profondes et spécialisées que le soutien à la parentalité généralement pensé et offert dans ce type de situation.
Bien entendu, la solution de facilité serait de réduire ou supprimer les contacts, mais cela va à l’encontre de la déclaration des droits de l’enfant, et cela ne prend pas en compte les résultats d’autres méta-analyses récentes sur l’effet des séparations parent-enfant (Crittenden & Spieker, 2023 ; Nations Unies,1989)
Pour les enfants placés en famille d’accueil non apparentée/institutions
- Pour les enfants placés dans leur famille élargie Les bénéfices du contact sont également moins marqués dans ces cas. Ce point-ci est aussi particulièrement intéressant cliniquement. En effet, on pourrait tout à faite imaginer que ce type de placement dans un réseau de liens élargi qu’est la famille, et donc avec des adultes donneurs de soins familiers, est un type d’attachement de deuxième ligne en quelques sortes, alors que, par comparaison le placement en famille d’accueil avec des adultes non familiers génèrerait pour l’enfant un expérience plus brutale. Un type de placement qui requiert une rupture de ses liens d’attachement avec ses parents, le deuil de ces liens, et la constitution de nouveaux liens avec les parents d’accueil qui deviennent alors organisateurs psychiques de l’enfant. Cela signifie donc que l’on fait revivre, à chaque visite, à l’enfant une micro-rupture de son nouvel attachement (avec son parent d’accueil), alors que le placement a déjà abîmé la confiance épistémique de l’enfant en l’adulte. Simultanément, on l’empêche de faire complètement son deuil avec son parent biologique, jamais vraiment disponible et soignant, mais jamais vraiment absent. L’enfant est maintenu dans un entre-deux relationnel complexe, d’autant plus complexe que l’enfant est jeune et n’a pas la capacité developpementale de comprendre cette complexité. Ce n’est pas impossible de créer ce type de réseau d’attachement divers et multiple autour de l’enfant. Les adoptions ouvertes avec contact montre d’ailleurs des effets positifs sur la santé mentale des enfants dans ces situations (Crittenden & Spieker, 2023), mais cela doit être pensé, accompagné, au risque de générer des problèmes de loyauté chez l’enfant, très bien décrits et connus depuis les travaux de Myriam David (1989).
- En ce qui concerne les enfants placés en institution. L’image est peut-être encore plus complexe. La vie d’un enfant en institution, c’est beaucoup de donneurs de soin différents, changeants, assez peu de stabilité, de prévisibilité alors que ce sont pourtant des facteurs essentiels dans l’organisation d’un attachement de bonne qualité. Cela signifie que l’enfant va devoir s’adapte, forcément, stratégiquement, pour « souffrir le moins possible de s’attacher ». Quand on lui donne des visites avec ses parents (et il le faut), on réactive le manque, mais aussi le trauma de la séparation, sans que l’enfant n’ait aucun contrôle sur ce qui se passe pour lui et parfois sans accompagnement des émotions que cela génère et de comportement difficiles que cela engendre. Enfin, les visites, pour ce que j’en connais, sont des moments relationnellement étranges, encadrés souvent, dans des salles impersonnelles, avec des jouets non familier, des parents en difficulté pour interagir avec cet enfant qu’ils ne connaissent plus tout à fait et qu’ils ont du mal à reconnaître, alors que ce sont des parents qui ont déjà des vulnérabilités, et donc sont plus en difficulté que d’autres pour interagir avec leur enfant. Je me dis que l’expérience de l’enfant, surtout les plus jeunes et plus vulnérables, surtout si les visites ne sont pas fréquente, doit être celle d’une situation étrange extrême. Elle doit donc réactivé l’attachement et tout les comportements difficiles, adaptatif qu’il accompagnent l’activation de l’attachement.C’est ce que j’ai observé en tout cas. Tout ceci peut expliquer que, pour les enfants en institution, le contact avec les parents est un challenge plus qu’un soin de la relation, et qu’il convient d’en avoir conscience et de penser l’expérience de l’enfant qui a bien du mal à pouvoir nous l’expliquer et ce retrouve contraint à l’agir.
Et pour les bébés et jeunes enfants ?
Voici le point central — et inquiétant — pour moi. Il n’y a pas de données sur les bébés et les jeunes enfants. Car si la recherche sur l’effet des visites parentales (le sujet de cette méta-analyse) est difficile à mener à tout âge, elle est quasiment impossible à conduire chez les bébés. Et cette étude le montre bien : elle n’inclut que des participants âgés de 3,8 à 26,7 ans, avec une moyenne autour de 10 ans. Il n’existe pas de recherches spécifiques et détaillées pour les bébés en nombre suffisant pour être incluses dans une méta-analyse.
Il y a néanmoins plusieurs éléments indirects qui méritent attention pour penser aux bébés :
- Les auteurs notent que l’âge n’est pas un modérateur significatif des effets du contact. Mais cette absence d’effet peut masquer le fait que peut être on se sait simplement pas vraiment rendre compte de l’expérience des bébés dans ce contexte.
- Aucune étude centrée uniquement sur les moins de 3 ans n’est clairement identifiée, et les outils utilisés (CBCL, SDQ…) ne sont pas adaptés aux nourrissons, ce qui rend leur inclusion méthodologique difficile. En effet, l’effet des visites parentales pour les bébés placés requiert des méthodologies de recherche différentes, souvent bien plus difficiles à mettre en œuvre pour garantir une bonne validité.
- Les auteurs évoquent la possibilité que les très jeunes enfants soient plus sensibles à l’instabilité du caregiving, aux ruptures liées aux visites ou aux réactivations de trauma, mais cela reste une hypothèse (cités : McWey et al., 2010). La question clinique à se poser, pour moi, au-delà de l’effet des visites parentales chez le bébé placé, c’est celle des répercussions sur la construction du ou des liens d’attachement du bébé en général et donc sur leur organisation psychique à court, moyenne et long terme. Cette réflexion nait chez moi de la multitude de vidéo de bébés placés que j’ai évalué à l’échelle alarme détresse bébé ( ADBB) et qui ont jusqu’à 80% de retrait relationnel chronique. Le retrait relationnel étant un comportement défensif, de replis sur soi, de renoncement à l’engagement relationnel pour se protéger et économiser son énergie quand l’environnement de réponds pas aux attentes développementales normales du bébé.
Conclusion
Pour les bébés, ce travail ne fournit pas de données spécifiques, mais soulève la nécessité de recherches ciblées, notamment à cause de leur vulnérabilité particulière aux ruptures relationnelles.
Pour les enfants plus âgés, les visites hebdomadaires sont associées à une meilleure santé mentale, sauf si les enfants ont été physiquement abusés ou sont placés en famille non apparentée et cela pose toute la question de ce que l’on doit penser et mettre en place pour soigner les liens, puisqu’il n’est pas question, sauf cas extrême, d’empêcher un enfant de connaître ses parents.
Mais surtout, ce que moi je retiens, c’est que malgré les efforts des chercheurs, il semble que ce genre de recherche quantitative n’aide en fait pas beaucoup à répondre aux questions qui préoccupent les professionnels de la protection de l’enfance pour préserver le bien-être des enfants et leur santé mentale. Et peut-être… peut-être…faudrait-il revenir à des méthodes plus qualitatives.
Ce sont justement ces contextes cliniques complexes — là où les évidences statistiques échouent à capturer l’expérience vécue — que nous explorons collectivement dans la communauté de co-développement clinique que j’anime.
Le groupe actuel est complet, mais si vous êtes plusieurs à être intéressés, un nouveau cycle pourra être ouvert. N’hésitez pas à me contacter directement si cela vous intéresse.
Texte publié le 17 juin 2025 dans le cadre du projet A-T-L-A-S : un blog clinique pour explorer les liens qui façonnent l’humain.*
— Alexandra Deprez
Merci pour votre lecture
Merci d’avoir pris le temps de lire cet article.
Si vous avez une question, une réflexion ou une nuance à partager, n’hésitez pas à laisser un commentaire ou m’écrire : vos retours nourrissent mon travail.
Soutenir mon travail
Ce blog est indépendant, sans publicité, et il me demande beaucoup d’énergie pour vous offrir des contenus rigoureux, sensibles et utiles.
👉 Si vous souhaitez soutenir mon travail, vous pouvez m’offrir un café virtuel via Buy Me a Coffee :
Soutenir le blog : [Lire pourquoi et comment ici]
Recevoir la newsletter
Je partage régulièrement des contenus inédits sur l’attachement, la parentalité, les dérives du développement personnel, ou encore le lien entre IA et humanité.
👉 Pour recevoir ces articles directement dans votre boîte mail, inscrivez vous ci dessous.
Se former à la théorie de l’attachement
Vous êtes professionnel·le de la santé, du social ou de l’éducation ?
J’ai conçu une formation complète à la théorie de l’attachement, 100 % en ligne et interactive.
Références
Touati, F., Frongia, L., & Côté, S. M. (2025). Parent–child contact during placement and mental health: A meta-analysis. Family Relations. https://doi.org/10.1111/fare.12950
Masaryk, R., & Stainton Rogers, W. (2024). The time has come for psychology to stop treating qualitative data as an embarrassing secret. Social and Personality Psychology Compass, 18(2), e12938. https://doi.org/10.1111/spc3.12938
Crittenden, P. M., & Spieker, S. (2023). The effects of separation from parents on children. In Understanding Child Abuse and Neglect—Research and Implications. IntechOpen. https://doi.org/10.5772/intechopen.108718
**Nations Unies (1989).***Convention relative aux droits de l’enfant.*Adoptée et ouverte à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée générale dans sa résolution 44/25 du 20 novembre 1989.Entrée en vigueur le 2 septembre 1990. Texte en ligne
David, M. (1989). Le placement familial : De la pratique à la théorie. ESF éditeur.
McWey, L. M., Acock, A., & Porter, B. E. (2010). The impact of continued contact with biological parents upon the mental health of children in foster care. Children and Youth Services Review, 32(10), 1338–1345. https://doi.org/10.1016/j.childyouth.2010.05.003
Commentaires récents