Sur la communauté à apprenante périnatalité, nous faisons, notamment,  des reprises de cas d’ enfants placés en pouponnière. Ce qui nous interpelle, c’est l’aspect déjà tellement discontinue de leur vie, rien  de nouveau ici. Pourtant, on le sait, la recherche et la clinique nous l’on confirmé depuis des dizaine d’années, que pour se construire psychiquement sainement, un bébé a besoin de continuité et de prévisibilité dans les soins qui lui sont donnés. Nous n’y arrivons pas encore toujours, tel est le constat  et la question que l’on se pose est  : comment faire ? Comment faire pour promouvoir la continuité ? Marie, psychologue en pouponnière en Belgique, nous a alors parlé d’un outil qui me semble intéressant de présenter ici.

Le fil rouge : un document qui retrace les évènements de la vie des enfants .

Le fil rouge est un document préparé pour recueillir de manière organisée des informations utiles aux enfants et aux jeunes. Il a été conçu par le SASPE Notre Abri à Bruxelles, lieu d’accueil spécialisé pour les petits de 0 à 6 ans.

Ce document, écris à l’attention des mandants (Belgique), équivalent des responsable de l’ASE (pour la France ) et du responsable ONE ( pour le Luxembourg) comprend plusieurs parties  :

  1. Ligne de vie du jeune reprenant : date et lieu de naissance, différents lieux de vie, les

Interventions d’une instance officielle, les événements de l’histoire des parents.

  • Génogramme de la famille : reprenant les personnes importantes dans la vie du jeune et des parents ainsi que les explications nécessaires.
  • Répertoire : reprenant des informations précises (noms et adresses) des personnes et services significatifs pour le jeune, y compris les copains connus en institution.
  • Éléments d’anamnèse : reprenant les éléments de la vie du jeune depuis la grossesse : naissance, ruptures de lien précoces, description et évolution du jeune, descriptions des relations avec chacun des parents …
  • Résumé du travail effectué avec l’enfant, sa famille.

Le document précise que l’objectif est d’aider les professionnels à s’inscrire dans un travail cohérent et de permettre aux jeunes et leurs familles de comprendre leur parcours de vie.

Ce document est transmis et complété par les intervenants au fur et à mesure des changements qui interviennent dans la vide l’enfant. Chaque professionnel s’engage à le compléter dans le respect du code de déontologie.

Quelle est l’intérêt de cette outil ?

Ce qui fait trauma, et plus encore trauma developpemental, c’est d’avoir vécu des expériences adverses répétées induites par la figure d’attachement ou en l’absence de figures d’attachement.

Ce type d’expériences, vécues à un âge non verbal, sont stockées en mémoires fragmentées, éparses, incohérentes, sans lien entre elles, chargées d’émotions et de ressentis corporels de danger, d’impuissance, parfois de terreur.

Ce qui est tout à fait particuliers pour nos bébés de pouponnières, c’est que ces mémoires sont SANS MOTS. Elles sont  impossible à annoncer spontanément par le sujet  au moment où il souffre de ces expériences mais  aussi tout au long de la vie. Simultanément, ces expériences du lien, des autres,  réalisées lors de la période sensible de construction du cerveau et des bases de la personnalité, vont  pourtant être perpétuellement réactivées dans toutes les relations significatives du bébé, de l’enfant puis de l’adulte, dans toutes les transitions de la vie : entrée à l’école, entrée dans l’adolescent, premiers amours, premier job, mariage, naissance et même adoption d’un chien ou signature d’un contrat de location de son appartement. Pourquoi ? Parce que le cerveau s’est câblé d’une manière particuliere au cours des premières années de la vie, et que pour le changer on a besoin de conscientiser, de pouvoir raconter, mettre des mots, faire sens, faire lien entre les différentes émotions, représentation, sensation qui émergent et, sans histoire, c’est particulièrement difficile. Le cerveau ayant horreur du vide, comme la nature d’ailleurs, il créera ce qui faut  pour générer l’information dont il a besoin pour faire sens , y compris une information délirante.

 On sait par les études en psycho traumatologie, en EMDR, que ce qui soigne les  humains c’est de faire des liens avec d’autres personnes mais aussi entre les mémoires, entre les événements, les sensations les émotions, les images.

« Si les relations sont le lieu où les choses vont mal, alors les relations sont le lieu où elles vont être corrigées. »

(Howe, 2011, IX)

Ce qui soigne, c’est ce  pouvoir de raconter une histoire cohérente,  de raconter une histoire cohérente à un autre de ce que l’on a vécu.

Sans liens, sans mots, sans être

Nos bébés de pouponnière sont souvent privé de cette possibilité, une fois qu’ils ont grandi, de mettre des mots sur leur histoire et leur fonctionnement propre. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas assez d’informations. Personne ne leur raconte parce que personne n’est réellement en capacité de le faire, il y a trop de discontinuité. Et ce qui n’est pas dit et pensé, sera agi, et nos petits de pouponnière sont alors tellement plus à risque de développer des comportements pathologiques.

C’est sur ce point que le fil rouge est un outil intéressant.  En notant, dans un dossier pensé pour, ce que l’enfant a vécu, ses réactions, le pourquoi des événements, l’âge, les personnes clés et les ressources à ce moment-là, cela permet à l’enfant, devenu grand, d’avoir une histoire, d’apprendre qu’il est, comment il s’est construit ,qu’est-ce qui a été important pour lui. Cet outil peut alors servir de base à une prise en charge psychothérapeutique.

Nous l’avons vu, ce qui tue, psychiquement, c’est de ne pas savoir, de ne pas avoir d’informations sur soi, son histoire, c’est ressenti comme une négation de l’existence, un rejet, une absence de valeur personnelle qui sera la source d’adaptations massives souvent psychopathologiques dont la fonction sera d’éviter la dépression, la dépendance, la vulnérabilité, le sentiments d’abandon ou de rejet, etc. coute que coute .

Le fil rouge, on le comprend, devient un outil INDISPENSABLE .

Quelles sont les autres avantages du fil rouge.

  • J’en vois un premier, majeur,  qui est de promouvoir la continuité dans les pratiques.

Prendre, ouvrir  et compléter le dossier d’un enfant, comme on ouvrirait son carnet de santé et voir, de ses yeux, les ruptures relationnelles, les changements, les ressources dont l’enfant a disposé (ou non), nous permet tout de suite de commencer à penser sa personne, son expérience. Cela nous informe sur  ce que cet enfant a déjà appris du monde, de lui-même en lien avec ce monde. Cela nous raconte les défis auxquels il a dû faire face, à quoi il a dû s’adapter, contre quoi il a dû se défendre.

Ainsi, par essence, le fil rouge est un outil de mentalisation et permet de développer notre sensibilité, notre empathie pour des enfants qui ont souvent des comportements complexes et difficiles. Cela nous permet de développer une capacité à penser l’enfant et ses comportements plus ou moins pathologiques.

De plus, cela va influencer les discours énoncés sur cet enfant, les mots qui sont dit pour lui, sur son histoire,  les décisions qui vont être prises pour lui, son projet de vie, de façon d’interagir avec lui.

  • Le fil rouge est, je crois, aussi  un fabuleux outil pour le thérapeute qui va prendre en charge l’enfant, ça va lui permettre :
    • De comprendre le comportement et les défenses de l’enfant,
    • de choisir des livres, des jeux, un cadre thérapeutique et des outils qui vont soigner les trauma et les expériences adverses rencontrées
    • il va être possible de créer un environnement thérapeutique qui va permettre à l’enfant de faire des expériences correctives.

Bien sûr tout cela, nous le faisons déjà mais ce qui ressort en supervision, c’est que souvent nous travaillons plus par intuition, essai et erreur par manque d’informations.

  • Le fil rouge peut aussi servir à écrire un conte thérapeutique  sur l’histoire de cet enfant. Ce type de conte est écrit avec le parent, la personne de référence, l’enfant parfois, lorsqu’il est devenu grand ou encore, le parent d’accueil ou d’adoption. C’ est  un fabuleux outil de développement de la sensibilité du parent psychique en charge des soins de cet enfant. Ce pourrait donc être aussi un outil de promotion de  la capacité mentale réflexive du parent, laquelle est un précurseur de l’organisation des comportements d’attachement et donc de la stratégie d’attachement que l’enfant va organiser dans cette relation signifiante.

Quelques remarques :

Je me dis néanmoins que pour que cet outil soit encore plus puissant, une version spécifiquement destinée à l’enfant pourrait être développée. Qu’elle soit écrite et illustrée ( photos, dessins, lettre) en prenant en compte que l’enfant la lira.

Je trouve aussi qu’il faudrait accentuer la prise en compte  des  aspects attachement pertinents et traumatiques et peut-être mettre un visuel en fonction de la gravité des évènements ( vert quand tout va bien, rouge quand l’enfant a eu des réactions importantes ou longues) , et puis avec une vision sous forme de schéma, comme un instantané.

Je pense aussi qu’il faut faire attention à ce que l’on écrit, et surtout la façon dont on l’ écrit . Prendre en compte la cohérence, les contingences évènementiels, émettre des hypothèses plutôt que d’affirmer, décrire sans juger, sans interpréter, ce sera à l’enfant de faire tout cela.

Le temps et les conséquences du «  pas de temps »

Je remarque aussi que dans le document, il est plusieurs fois rappelé que remplir le document prend du temps et que l’on peut ne remplir que les trois premières parties . Faire une économie en quelque sorte.

Je sais les contraintes des équipes pour les écouter en supervision, en formation, je sais que le temps manque tout le temps … et ce sujet en lui-même devrait faire l’objet  d’une réflexion approfondie qui va jusqu’à questionner notre modèle de société. On dit souvent que le temps c’est de l’argent. Hélas, ce n’est que trop vrai, et  le temps que l’on ne met pas à penser, écrire, et communiquer le détails de la vie d’un bébé placé en pouponnière sera payé plus tard, avec les intérêts, au travers des nombreuses prises en charge dont il aura besoin tout au long de sa vie. Parce que ce défaut d’information va empêcher  le bébé, l’enfant, de faire des LIENS entre les mémoires, entre son comportement et ses sentiments, entre les personnes qui ont été importantes dans sa vie . Or, c’est la source de sa résilience et cela n’a pas de prix. Je pense donc que la question du temps ne devrait pas pointer le bout de son nez ici et qu’il nous faut prendre ce temps pour le futur.

En conclusion :

On le voit le fil rouge est un document, une action de continuité absolument essentiel. A mon avis ; il peut être encore pensé et approfondi. Il pourrait devenir comme un carnet de santé mentale et on pourrait peut-être même l’élargir  à tous les enfants, que ce soit une seconde partie du carnet de santé , après tout, les études ont prouvé l’importance de la santé mentale précoce pour la santé physique tout au long de la vie.  Il y a sûrement d’autres avantages auxquels je n’ai pas pensé et aussi peut être des inconvénients que je ne vois pas.  Je vous invite à nous faire part de vos idées et remarques dans les commentaires. Enfin, si vous souhaitez explorer cliniquement ces questions, des outils, participer à la construction de pratiques attachement et trauma informées dans la petite enfance, n’hésitez pas à rejoindre la communauté apprenante d’Humagogie en périnatalité.