La théorie de l’attachement est aujourd’hui largement diffusée et commence à être utilisée en clinique comme référentiel. Elle trouve particulièrement ses applications pour la clinique de l’adoption, du placement et de la protection de l’enfance ainsi que sur la question de plus en plus courante de l’organisation de droit de visite et d’hébergement ou de la garde alternée pour les bébés et jeunes enfants en cas de divorce. 

Dans cet article, je vous propose de faire un point sur 7 idées fausses (parmi d’autres) qui circulent sur la théorie de l’attachement et ses applications.

1- Un adulte doit avoir été présent dès la naissance du bébé pour que ce dernier puisse s’attacher à lui.

Non, ce n’est pas comme cela que ça se passe. En fait, si un bébé a eu l’opportunité de former un lien d’attachement avec un donneur de soin suffisamment adéquat dès sa naissance, il peut tout à fait, avec du temps, former un nouvel attachement, y compris sécure, avec un nouveau donneur de soin. Il faut cependant que quelques conditions soient remplies :

  • qu’un premier lien d’attachement ait existé, d’où le risque accru de difficulté et troubles de l’attachement pour les bébés soignés longtemps en institution (orphelinat, pouponnière, hospitalisation au long cours)
  • qu’on lui laisse suffisamment de temps au quotidien sur plusieurs mois avec le nouveau donneur de soin pour que le lien d’attachement se construise.(1,2,3,4)

2- La formation du lien d’attachement doit se faire pendant les premières années; si cette période sensible est ratée, il y a aura des conséquences pour le développement de l’enfant.

En fait, comme on l’a déjà suggéré ci-dessus, cette croyance est issue des recherches sur les bébés institutionnalisés (orphelinat, pouponnière). En effet, si aucun lien d’attachement n’a pu se construire au cours des trois années de vie, il peut se développer un trouble de l’engagement social désinhibé (ou sociabilité indiscriminée) ou  un trouble réactionnel de l’attachement. Répertoriés tout les deux dans le DSM-5 (manuel diagnostic), le premier désigne des comportements de sociabilité indiscriminée et d’attachement désinhibé ( donc envers tout le monde), et le deuxième, l’incapacité de l’enfant à s’attacher à une personne privilégiée ( donc envers personnes)  .

3 -Les nourrissons ne peuvent pas s’attacher à des personnes maltraitantes.

Le lien d’attachement ne se construit pas de façon rationnelle, par choix. C’est plutôt une propension biologique, un instinct évolutionniste hérité pour la survie de l’espèce qui conduit le bébé à s’attacher à un adulte qui est là, pour prendre soin de lui et qui peut potentiellement le protéger que celui-ci  le fasse effectivement ou non. Donc le bébé peut tout à fait s’attacher et souffrir de la séparation  d’avec un donneur de soin maltraitant. Pourtant parfois il peut être nécessaire, pour protéger le bébé physiquement mais aussi psychiquement, de couper les liens entre le donneur de soin maltraitant et l’enfant. Il convient alors de bien comprendre l’expérience que l’enfant peut en faire et accompagner ses réactions par une prise en charge adéquate au risque de générer un trauma supplémentaire qui aura des répercussions sur la santé mentale et physique de l’enfant mais aussi sur la construction de nouveaux liens d’attachement.

4- L’attachement désorganisé indique que l’enfant a été maltraité :

C’est une affirmation qui est fausse et qui hélas est fortement répendue chez les professionnels. Cette conception est potentiellement dangereuse quand on doit prendre des décisions ayant un impact sur la vie des familles.

En effet, cette croyance est issue des recherches qui montrent qu’une grande majorité d’enfants qui ont été maltraités montrent des signes de désorganisation de l’attachement lorsqu’ils sont évalués pour l’attachement. (5)

Cependant cette observation n’est pas vraie quand on regarde dans l’autre sens : la majorité des enfants qui sont désorganisés en termes attachement ne sont pas maltraités. En conséquence, le signe d’une désorganisation de l’attachement n’est pas un signe fiable de l’existence d’une maltraitance. En fait, ce que la recherche a montré, c’est que la désorganisation de l’attachement est le résultat d’interactions classées comme effrayées/effrayantes avec le parent (6). Ce genre d’interactions est davantage le résultat d’un trauma non résolu chez le parent (dissociation) ou de problèmes de santé mentale (dépression, addiction…) que de comportements maltraitants à proprement parler. Ils sont davantage l’indicateur que des soins pour le parent sont nécessaires que la preuve d’une maltraitance.

5- La présence de comportements désorganisés à la situation étrange fournit donc une information sur la qualité des relations parent/enfant depuis la naissance de l’enfant.

Oui et non. En tous cas cela révèle l’incapacité, au regard de son environnement actuel, du bébé à organiser une stratégie d’attachement fonctionnelle pour lui, mais cela peut aussi relever de problèmes plus méthodologiques ou circonstanciels.

On peut ainsi observer des comportements d’attachement désorganisés à la situation étrange quand il y a eu des séparations relativement traumatiques dans l’histoire du bébé et que cela soit indépendant de la compétence parentale (hospitalisation, divorce avec garde alternée). Cela peut être aussi la procédure d’évaluation elle-même qui est particulièrement désorganisane pour un enfant donné ou à un moment donné (si elle tombe par exemple au moment où l’on commence la phase d’adaptation à la crèche).

6- Un bébé peut être trop attaché/pas assez attaché à son parent.

La notion d’être trop attaché (ou pas assez) à un parent n’a pas de sens au regard de la théorie de l’attachement.

Si l’enfant apparaît, dans ses réactions comportementales, trop attaché, cela peut être dû à un facteur anxiogène (séparation chronique par exemple), ou encore parce que le parent n’a pas été suffisamment prévisible dans ses réponses aux signaux de l’enfant en cas de stress conduisant ainsi à l’organisation d’une stratégie de type C (ambivalente/résistante).

Si un enfant parait trop peu attaché, c’est très probablement parce qu’il s’est adapté à des séparations trop nombreuses/longues/chroniques (phase d’évitement bien décrite par Bowlby et Robertson) ou alors que le parent a suffisamment peu répondu aux signaux d’attachement que l’enfant a appris à ne plus les manifester, conduisant ainsi à l’organisation d’une stratégie d’attachement de type A (évitante).

7 -Si un enfant pleure quand il retrouve son parent après une séparation c’est le signe que quelque chose ne va pas dans la relation avec son parent.

L’expression d’une détresse à la réunion peut tout aussi bien être le signe d’une difficulté dans la relation parent/enfant que le signe d’une sécurité de l’attachement. En effet, certains bébés sécures pleurent à la réunion car ils sont tout à faire confiants en la capacité de leur parent d’entendre et d’accueillir leur détresse et à quel point ils ont été stressés par la séparation. Cela signifie donc qu’il ne suffit pas de repérer un comportement précis pour connaître sa signification au plan relationnel entre le parent et le bébé et qu’il faut au contraire faire une évaluation par un expert formé ou une enquête poussée pour bien comprendre la signification d’un comportement en particulier tel que la manifestation de détresse émotionnelle au moment de retrouver le parent.

En conclusion :

Si la théorie de l’attachement parait au premier abord simple voire simpliste, il apparaît que c’est surtout le signe d’une méconnaissance de sa complexité et de ses concepts clés, mais aussi de ses méthodologies d’évaluation. Ce constat implique donc  qu’un effort tout particulier doit être fait pour la formation des professionnels de terrain qui souhaitent s’appuyer sur la théorie de l’attachement dans leurs pratiques. Mais le jeu en vaut la chandelle ! La théorie de l’attachement a, en effet,  au travers de plusieurs décennies de recherche, montré  tout son intérêt pour prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant  dans les politiques publiques  autour de la famille et à chaque fois qu’une décision de vie doit être prise.

références :

1-Bowlby, J. [1969/1982]. Attachment and loss: Volume 1. Attachment. New York, NY: Basic Books.
2-Dozier, M., & Rutter, M. [2008]. Challenges to the development of attachment relationships faced by young children in foster and adoptive care. In J. Cassidy & P. R. Shaver – Eds. – , Handbook of attachment: Theory, research and clinical applications – 2nd ed., pp. 698–718 – . New York, NY: The Guilford Press.
3-Goldfarb, W. – 1943 – . The effects of early institutional care on adolescent personality. Journal of Experimental Education14, 441–447.
4-Goldfarb, W. – 1945 – . Psychological privation in infancy and subsequent adjustment. American Journal of Orthopsychiatry15, 247–255.
5-Cyr, C., Euser, E. M., Bakermans-Kranenburg, M. J., & van IJzendoorn, M. H. (2010). Attachment security and disorganization in maltreating and high-risk families: A series of meta-analyses. Development and Psychopathology22, 87–108.
6-Main, M., & Hesse, E. (1990). Parents’ unresolved traumatic experiences are related to infant disorganized attachment status: Is frightened and/or frightening parental behavior the linking mechanism? In M. T. Greenberg, D. Cicchetti, & E. M. Cummings (Eds.), Attachment in the preschool years: Theory, research and intervention (pp. 161–182). Chicago, IL: University of Chicago Press.